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Le Général des cuisines

Le Général des cuisines

Gastronomie | Publié le 15 octobre 2010

Entrevue avec le chef cuisinier du légendaire Queen Mary 2 qui nous parle des incroyables prouesses culinaires, gastronomiques et logistiques relevées quotidiennement pour combler l’appétit de 2 620 passagers, trois fois par jour!

Le chef cuisinier Jean-Marie Zimmermann travaille à bord du Queen Mary 2 depuis son lancement en 2004. Dans un ouvrage publié en 2009 qu’il a intitulé Queen Mary 2, une croisière gastronomique, Jean-Marie Zimermann livre une cinquantaine de recettes qui sont proposées dans les 14 restaurants de ce légendaire navire britannique, comme l’incontournable Fish and Chips, le Crumble pomme-rhubarbe, le Beef and Guinness Pie. Ou encore des recettes originales comme la lasagne au saumon fumé, la bisque de homard au lait de coco, le summer pudding.

D’origine alsacienne, ce chef – surnommé « Le Prince » par les membres de ses brigades –, relate aussi les incroyables prouesses culinaires, gastronomiques et logistiques réalisées quotidiennement pour combler l’appétit de 2 620 passagers, trois fois par jour! Extraits de l’entrevue contenue dans son luxueux et imposant ouvrage de 224 pages, disponible en français à bord des navires de Cunard Line

G. C. : Vous vous êtes retrouvé en 2003 à la tête d’une cuisine vide, sans brigade, sur le Queen Mary 2 alors en construction?
Jean-Marie Zimmermann : Effectivement, mais je n’arrivais pas en terre inconnue. J’avais acquis une certaine expérience, ayant ouvert deux navires pour Celebrity Cruises et un pour Festival Cruises. Mais il y avait une émotion supplémentaire, s’agissant d’un navire qui s’annonçait comme le plus mythique de toute l’histoire des paquebots.

G. C. : Cunard vous a-t-elle donné des consignes pour assurer l’ouverture des cuisines?
J-M. Z. : La compagnie avait défini les concepts de restauration, mais j’avais carte blanche pour créer les menus des différents restaurants. L’essentiel, pour moi, c’était d’abord de comprendre la philosophie de Cunard. En effet, il existe un esprit Cunard dans la cuisine, ainsi qu’une tradition chez la clientèle qui fréquente les navires de la compagnie. Il me fallait appréhender tout cela avant de me lancer dans la création de menus.

G. C. : Comment s’y prend-on pour bâtir l’équipe qui va officier dans les cuisines d’un navire comme le Queen Mary 2?
J-M. Z. : Je me suis enfermé dans un bureau, à Miami, et j’ai beaucoup étudié. Je suis ensuite parti à bord du Queen Elizabeth 2 pour observer le fonctionnement des cuisines, pour sonder les attentes des passagers, pour rencontrer les personnes que j’allais emmener avec moi sur le Queen Mary 2. Ensuite, je suis parti dans le monde entier pour recruter le reste de l’équipe.

Pour les menus, j’ai passé un mois à créer toutes les recettes du Queen Mary 2 à Miami. Puis, à bord du Queen Elizabeth 2, j’ai cuisiné ces recettes pour voir si elles étaient faisables et surtout, réalisables par des équipes qui ne me connaissaient pas.

Il fallait aussi anticiper les quantités, acheter tout le matériel de cuisine, trouver les fournisseurs, organiser les livraisons. Je ne me suis consacré qu’à cela durant les quatre mois qui ont précédé le lancement du navire.

G. C. : La première fois que vous avez été sur le Queen Mary 2, comment cela a-t-il été?
J-M. Z. : J’ai été impressionné, il était absolument immense. Et c’est vrai que, pour être sincère, quand j’ai vu la cuisine pour la première fois, je me suis dit que ça ne marcherait jamais. J’ai pris un peu peur, mais le fait d’avoir déjà travaillé sur d’autres navires m’a empêché de baisser les bras.

G. C. : Ce ne fut pas le lancement le plus facile à faire?
J-M. Z. : Ce fut même le plus difficile que j’ai eu à réaliser. La consigne était de casser la tradition. Et de faire du Queen Mary 2 le liner du XXIe siècle, y compris dans la cuisine proposée. Il est vraiment difficile de concevoir une cuisine recherchée, très pointue, et de la faire reproduire à l’identique de manière parfaite par des équipes qui n’ont pas la culture occidentale de la cuisine. L’ambition de proposer des assiettes très contemporaines n’a pas résisté à ces réalités. Je fus donc contraint de changer les deux tiers des menus en cours d’ouverture. Mais le tiers qui a fonctionné a tout de suite fait la différence par
rapport aux autres paquebots.

Il a fallu 18 mois pour se mettre en ordre de marche et aujour d’hui, nous avons réussi à ce que tout soit excellent. Nous avons dû travailler sur les saveurs, sur les goûts, sur les cuissons pour que le boeuf Wellington soit saignant, à point ou bien cuit ; le plus simple aurait été de tout cuisiner à l’avance et de réchauffer en noyant dans la sauce, mais dans ma cuisine, c’est hors de question ! Et c’était aussi un vrai défi de coordonner cent cinquante cuisiniers pour qu’un service de mille deux cents couverts se passe bien.

G. C. : Quel est votre rôle aujourd’hui?
J-M. Z. : Je suis le général de la cuisine et en cela, je suis l’unique responsable. Il y a une pression incroyable. Je dois être au courant de tout. Je me balade dans les quatorze restaurants du navire, j’observe, je note et, tous les jours, j’organise des réunions pour recaler certaines choses, pour en modifier d’autres. Je laisse ensuite les chefs de chaque cuisine tranquilles pendant plusieurs semaines, car tout cela fonctionne aussi à la confiance.

G. C. : Vous êtes l’un des rares chefs au monde à avoir une clientèle qui va revenir pendant cinq jours. C’est un autre défi à relever?
J-M. Z. : Il faut cuisiner dans l’optique qu’en sortant de table, les passagers doivent se réjouir de revenir pour le repas suivant. Nous devons concocter des plannings de menus gastronomiques équilibrés, sains et savoureux, élaborés avec de beaux produits. C’est un pari réussi, puisqu’il n’y a pratiquement aucune réclamation sur les seize mille couverts servis chaque jour sur le navire.

G. C. : Vous vous occupez aussi des cuisines du futur Queen Elizabeth et du récent Queen Victoria?
J-M. Z. : Avant, on ne faisait que de la grande tradition culinaire. Maintenant, ce sont les thématiques que j’ai mises en place. J’ai pu créer un restaurant de fondues et un restaurant indien sur le Queen Victoria, une rôtisserie anglaise et un restaurant asiatique sur le Queen Mary 2.

G. C. : Tous ces restaurants sont au coeur de ce que l’on appelle en anglais la world food?
J-M. Z. : Pourtant, je ne voyage pas autant que l’on pourrait le croire. Mais mes chefs proviennent d’une vingtaine de pays. Je leur demande de créer en fonction de leur culture, de m’apporter de nouvelles saveurs, de me surprendre. Ce métissage est d’une richesse incroyable. Ils préparent des plats, je goûte, je pioche des idées. Tout cela me permet de créer, au fur et à mesure, un goût Queen Mary 2 qui est en permanence à la mode.

G. C. : Y a-t-il une notion de saison sur le Queen Mary 2?
J-M. Z. : Nos passagers fréquentent les plus grands hôtels, les palaces du monde entier. Et ces personnes sont habituées à déguster des produits frais toute l’année. Cette clientèle paie pour avoir le meilleur sur le navire. La matière première, c’est le plus important. Il y a une vraie jouissance à travailler les meilleurs produits et à les faire déguster.

G. C. : Dans les grills, qui sont des restaurants gastronomiques, tout semble possible?
J-M. Z. : Les clients des grills peuvent effectivement tout nous demander. Notre seule limite d’exécution, c’est la limite d’imagination de nos passagers. Pratiquement tous les jours, on nous commande des plats particuliers.

G. C. : La navigation ne semble pas être une passion chez vous?
J-M. Z. : Ce qui me pousse à être sur les navires, ce sont les défis à relever au quotidien et la satisfaction des passagers. C’est vrai que je n’ai pas de problème pour remplir mes restaurants comme beaucoup de mes confrères à terre. La contrepartie de cette contrainte d’être en mer, c’est une liberté totale. C’est une place en or. Ce n’est pas la mer qui m’attire, c’est la cuisine. Je suis un pur cuistot, pas un marin. Je ne sais même pas nager, alors…

 

Du côté des vins

Pour accompagner une telle cuisine, il faut des vins à la hauteur! Dans la cave du Queen Mary 2 (qui n’en est pas une au sens propre du terme) dorment quelque quarante mille bouteilles. Bien sûr, on trouve des Pétrus - deux en moyenne sont vendus à chaque traversée -, des Romanée-Conti et autre Opus One. Tous ces vins sont conservés cinq mètres sous la ligne de flottaison, au centre du navire, ce qui leur assure une stabilité remarquable.

De plus, aucun grand cru chargé à bord ne sortira de la cave avant d’y avoir passé deux mois, histoire de faire en sorte que la boisson ne soit pas brusquée. Et que les puristes se rassurent, le vin vieillit bien sur un navire. Il vieillit même mieux qu’à terre, puisque la force du Coriolis joue avec les molécules magiques du nectar, et fait que le vin se bonifie mieux que dans une cave classique.